Un de mes secteurs favoris, où les grandes voies, bien que courtes, sont davantage recommandées que les premières longueurs, en raison d’un rocher encore neuf.

Paroi des deux Aiguilles. A droite le grand mur, secteur mythique aux voies dures et engagées, à gauche l’arête des masques de pierre
Une sélection de voies, avant une présentation plus détaillée du site :
- Les rognures d’ongle d’Allah
- L’Extra-Dalle
- J’ambiance les gendarmes
- Le dièdre des tordus
- Les deux écailles
- Le manchot excité
- Le boulon de gauche
- Le boulon de droite
- L’antirabique
- Le Combat des Chefs et Cafard Né Homme
- Le pouce
- Le souci
- Deloripous Despapiers
- Le grand parcours
- Basket Blues
- Les masques de pierre
- Bertine, partie droite – Kaspaté et Commandos
- Retour aux sources
Description du site!
Court bastion d’à peine 100 mètres et dominé par l’imposant signal, le secteur des deux aiguilles n’est pas celui qui attire l’œil au premier regard. Pourtant, ces grandes dalles compactes se font finalement remarquer, après avoir regardé les grands sommets, par leur beauté et les murs compacts et lisses qui forment ce bastion.
Le premier itinéraire tracé est celui du grand parcours : en passant par l’aiguille de droite, la plus caractéristique, cette voie remonte l’éperon très caractéristique qui mène au sommet du signal.
Les aiguilles sont alors baptisées par l’ouvreur du grand parcours, Bernard Amy : en mélangeant son prénom avec celui de sa femme (Eglantine), il nomme l’aiguille de gauche Eglan’nar et celle de droite, Bertine.
D’autres voies, d’une hauteur de cent mètres, sont alors tracées : la pimprenelle et le pervers chevelu, les fagots, les masques de pierre, les rognures d’ongle d’Allah… Les auteurs sont des grimpeurs déjà célèbres, dont les carrières seront très vite brillantes : Bouquier, Cretton, Domenech. Ces voies suivent les éperons caractéristiques et les lignes fissurées.
La beauté du secteur se fait alors connaitre, et dès le début des années 70 des voies en dalles sont tracées. Avec le matériel d’époque et l’interdiction de forer des trous, ces itinéraires sont alors particulièrement exposés. La légende des deux aiguilles est née… Les Marseillais, conduits par les frères Gorgeon Bernard et Daniel, qui séviront également dans le Verdon, ouvrent alors des lignes superbes, engagées en dalle : la Kaspate, le cafard né homme… Les escalades sont alors très majoritairement libres. Parfois accompagné de la célèbre « Bande à Gorgeon », certains des itinéraires de Daniel resteront des challenges pour encore bien des années : allez voir dans « Doyouspitinglish » si le 6c+ est facile. Et sauf un, les points d’assurance fixes ont été placés des années après!
La fin des années 70 laisse apparaitre celui qui a été le plus loin dans le jeu de l’engagement. Originaire de la région parisienne et venu à l’escalade tardivement après avoir regardé une émission TV qu’il a jugée intéressante, Christian Guyomar va bouleverser l’escalade dans le sud de la France.
Renonçant dans un premier temps aux spits, il remet au gout du jour l’usage en escalade des « plombs » de plongée, testés il y a quelques années dans la Castapiagne au Verdon, et sort des crochets, lames fines et autres fils de fer pour parvenir à ses fins. Souvent accompagnés de Christian Hautecoeur, son acolyte qui partage son éthique et sa folie, ainsi que sa femme d’alors, Martine. Ensemble, ils ouvrent des voies de difficulté et d’audace alors inconnus. Sans tricher, ils « engagent la viande » dans des dalles d’aspect improtégeable. Pourtant, ils se protègent, et vont jusqu’à banaliser la chute. Les légendes parlent de vols de 20 mètres retenus par des crochets lestés et des plombs… Les voies sont bien souvent ouvertes en mixte (libre très obligatoire et artif foireux), et les premiers 6c obligatoires de France sont nés (avec l’ouverture de Super Médius et du Médius). Certaines voies sont devenues légendaires : antirabique (première longueur ouverte en solo ! Du 5b+ qui n’est pas à la portée de tous…), la Martine (6b+, trois longueurs), OVNI (crux en 6c auparavant assuré par… un plomb ! Le topo de l’époque citait pour la première fois un VIIa – cotation qui n’existait alors pas et rendant l’OVNI voie la plus dure de France), la trilogie des Médius (6c, 7a+ et 7c), la Tamanrasset (6b+), Lévitation (6c+), la Gassi Touil (6b)… alors que d’autres sont restées confidentielles (qui connait l’Organe, ouverte seul, et aujourd’hui 7c ?). Guyomar aura principalement laissé sa griffe dans le Verdon, je vous laisse donc imaginer la maitrise que celui-ci possédait…
Ces voies sont ensuite devenues des challenges de libre exposés. L’évènement majeur fut la libération du Médius par J.P. Bouvier (la Mouche). 7c dalle protégé par des bidouilles bricolées… Encore aujourd’hui, peu de monde en serait capable !
Sur la droite des deux aiguilles, une formation étonnante attire le regard : une « boule » lisse, compacte, magnifique. Sur celle-ci est tracée la voie « les couilles lisses de l’aixois », aussi appelée la boule. Libérée par Patrick Edlinger puis vite enchaîné par Alex Duboc pour un solide 8a+, il semblerait que ce soit la seule voie dure encore parcourue.
Les standards de la grimpe évoluant, les longueurs supérieures du secteur sont peu à peu abandonnées pour un esprit « couenne » d’une seule longueur. Les grimpeurs modernes n’arrivent pas à concevoir cette escalade dangereuse sur une falaise d’une hauteur modeste et les premiers rééquipements sauvages voient le jour… Ceux-ci étant fait n’importe comment, les locaux, menés par Daniel Gorgeon, André Delbec et Philippe Légier grimpeurs à qui l’on doit des centaines de voies et qui pensent que laisser se tuer les gens n’est pas recommandable, décident de prendre les choses en main et de rééquiper eux même ce secteur pour en préserver l’esprit : ainsi, la plupart des voies sont dotées d’un équipement « béton » mais restent engagées. Parfois, le premier point est situé à 7 mètres du sol et des retours au sol sont ensuite de longues chutes sont encore possibles. Rassurez-vous, toutes les voies ne sont pas exposées, mais il convient de toujours bien regarder les voies avant de s’y aventurer. Selon les secteurs, elles sont plus ou moins osées. A ceux qui râlent contre cet engagement, l’on répond : « Si tu trouves qu’il n’y a pas assez de points, rappels toi déjà qu’on les a mis pour toi! ».
Dans cet océan de dalles, de nombreuses voies cohabitent désormais. Terrain d’aventure, grandes voies équipées, couennes dures et engagées, voies d’initiation… Avec toujours du caractère et un paysage magnifique. L’équipement engagé est parfois critiqué par des grimpeurs incapables d’assumer de ne pas pouvoir aller dans une voie car elle semble dangereuse. C’est fort dommage car de nos jours, la très grande majorité des sites d’escalade ont été dotés d’un équipement parfait. Les voies des deux aiguilles sont rares et représentent un style d’escalade à la fois oublié et méprisé. Pourtant, l’escalade pourrait être une bonne école d’humilité. Aux deux aiguilles, on travaille son mental, et à Sainte Victoire, on se prépare pour la montagne. Il s’agit là d’un formidable apprentissage pour les grimpeurs motivés d’aventure, même s’ils ne sont pas si nombreux. Au contraire, les grimpeurs grincheux désirant avoir tout « clé en main » et n’autorisant pas les pratiques autres, souhaitent un rééquipement massif du secteur. Je me permets donc de leur répondre qu’il en faut pour tous (les secteurs comme celui-ci représentent moins de 1%… à voir le partage !) et que personne ne les oblige à aller dans un itinéraire dangereux, d’autant plus que l’on devine bien d’en bas à quoi s’attendre. L’escalade, c’est également savoir se contrôler, s’estimer, et savoir rester humble. Si on sait se refuser d’aller dans une voie parce qu’on n’a pas le niveau, où est le problème ? On ne taille pas de prise pour si peu ! Alors pourquoi n’arrive-t-on pas à assumer de ne pas avoir le courage d’en parcourir une autre ? Faut-il alors rajouter un point pour que tout le monde puisse la faire ? L’escalade est un sport qui se mérite, et l’apprentissage est parfois long. Il faut savoir attendre de progresser pour oser aller dans certaines voies, car la cotation n’est pas la seule finalité de l’escalade. Ici, on teste réellement ses compétences de bon grimpeur. Même pour des grimpeurs de 8, certains 6 restent mythiques. Et pour ceux qui veulent découvrir ce jeu doucement, il existe, à côté de ces voies engagées, des lignes à l’équipement plus serré où le rocher est tout aussi beau.
Dans des secteurs où il y a « de tout », faisons en sorte qu’il reste « de tout » ! Avant de parler de rééquiper les voies engagées, allons rééquiper les voies à l’équipement vieillissant, beaucoup plus dangereuses !

Du sommet du mur, le sommet de Sainte Victoire est encore loin… Le grand parcours est une voie partant des deux aiguilles, et qui se poursuit jusqu’au… Sommet!
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