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Avé Bernard, ou une Variante directe du Fauteuil

Le topo

J’avais repéré il y a quelques années une ligne de fissure évidente au Baou Cézanne, qui formait une directe de la voie du Fauteuil. J’avais proposé à mon ami Bernard Pégourié d’aller tenter ensemble l’ouverture, mais au final accompagnés de Noémie et Laurence nous avons d’abord choisi d’ouvrir « qui au clapier voudra grimper, ici devra poser ses pieds », nettement plus facile. Nous avons reparlé récemment de cette ligne avec Bernard, mais malheureusement il nous a quittés. L’envie de lui rendre un modeste hommage fut évidente, et le choix des partenaires pour moi était plus qu’évident : Laurent et Bruno étaient deux de ses bons amis, et ensemble nous avons grimpé et ouvert pas mal de voies dans les Bouches-du-Rhône (j’ai également ouvert avec Bernard et Laurence une voie au Verdon, « libérées, délivrées » en sortie de confinement, ce nom n’est pas politique mais reflète notre plaisir d’avoir ouvert la première voie sans goujon à la grotte des Galetas). Nous étions une chouette bande, j’avais plus ou moins perdu de vue Bruno et Laurent, et ce fut l’occasion de se retrouver.

Le tracé

Suite à un énième incident de surf, ce n’était pas le meilleur créneau pour moi, mais je ne pouvais plus attendre, j’ai donc début janvier proposé aux deux copains d’y aller, en précisant bien que je resterai sagement en second. Le baudrier seul me fait encore un peu mal, je n’ose pas imaginer prendre une chute, même en tant que « second un peu mou ». C’est Laurent qui part en premier, et qui nous fait une réelle démonstration de son talent d’ouvreur. Il faudrait compter mais bientôt il rattrapera Bernard Amy ! Il ouvre la première longueur rapidement et sereinement, en restant toujours en sécurité, un véritable expert. Surtout que la paroi est à l’ombre et que la température est particulièrement basse, en tous cas d’un point de vue Ciotaden. J’aurai beaucoup de mal en second à le rejoindre, et il veut coter cela 6a. Quand tu fais régulièrement en salle des soit disant 7A bloc à vue c’est rigolo. Courageux et motivé, il repart de la mini vire et de son relais béton pour la seconde longueur, une fissure exceptionnelle. Trop peut être, car dès le début nous y trouvons des pitons et des sangles. Après vérification, il s’agit de la vraie voie du Fauteuil, cette fissure a été rejointe via une courte mais audacieuse traversée en dalle à droite. La première longueur du Fauteuil aujourd’hui tel qu’il est parcouru semblerait être la première longueur de la variante Flamand de la voie Cézanne. Tant pis, notre voie ne sera pas indépendante et restera une variante (j’aurais dû mieux regarder mes archives !), mais le parcours est superbe, c’est sans doute une des plus belles fissures que j’ai pu grimper dans ce massif. C’est dur, encore !

Laurent en première longueur

Nous arrivons à un solide chêne, et ainsi au jardin semi vertical qui caractérise cette partie de la paroi. Ici, tout a déjà été remonté depuis longtemps, inutile de chercher la réglette vierge. Bruno grimpe environ 50 mètres aisés à la biodiversité végétale remarquable et s’arrête sous le dièdre final. Et ce compagnon, qui se sera modestement dénigré en début de journée, préfère une fissure plus classe, plus directe et bien plus impressionnante que le dièdre à droite.

Il enchainera cette très belle longueur comme un chef, qui n’est pourtant pas facile non plus ! Il s’agit d’une fissure large type off width, qui pourrait sembler abordable d’un trop rapide coup d’œil, mais qui est aussi malcommode que l’on sait lorsque l’on connait ce style.

Merci les amis pour cette jolie voie! Certes il n’y a que deux longueurs nouvelles mais l’enchaînement est vraiment très beau. La voie possède ainsi deux noms. Il ne s’agit que d’une variante, certes, mais à côté des voisines de droite ouvertes par Bernard, à savoir Falbala et compagnie (avec Laurence Raith et Laurent Morisot) et Abraracourcix (avec Lucille Nicoloto et Laurence Raith), je trouvais rigolo de profiter de l’univers d’Astérix pour lui rendre hommage, en la nommant « Avé Bernard », car il était assurément meilleur grimpeur que ce bon vieux Jules !

Bernard n’est pas un grimpeur ou un alpiniste particulièrement connu, pourtant sa carrière à la verticale et au delà est particulièrement brillante. En plus d’écumer toutes les plus grandes faces nord des Alpes, les voies les plus dures du Verdon à l’époque héroïque et des goulottes prestigieuses, il ouvrira de nombreuses voies dans le Sud de la France (Vercors, Calanques, Sainte Victoire…) notamment et en Afrique (Cameroun, Algérie, et probablement d’autres), en Asie (Himalaya, Jordanie, Oman…). Il fera également de nombreux solos, souvent très difficiles, en enchaînant parfois à la journée des voies qui sont pour certains l’objectif d’une vie. Je me souviens qu’il m’avait par exemple raconté qu’il devait faire avec un ami une voie au Peigne de 400 mètres cotée ED, et pour « s’échauffer » il fit seul l’éperon Frendo à l’Aiguille du Midi, seul de nuit, attrapant la première benne pour redescendre à l’heure et ainsi honorer son rendez-vous. Il a sans doute fait des exploits bien plus impressionnants, mais il était d’une grande modestie, ainsi il serait vraiment difficile de se rendre compte de son véritable parcours, des plus prestigieux. Il fut également membre du Groupe de Haute Montagne, et en a même assuré la vice-Présidence. Bernard fut également un grand chercheur, et un pilier mondial dans la recherche sur la stabilisation du plasma dans le projet de fusion nucléaire.

Bruno dans la fissure finale

J’ai eu une chance incroyable dans ma vie, celle de grimper avec Bernard. Nous nous remémorerons tous en premier lieu sa gentillesse et sa patience, ainsi que la passion qu’il savait transmettre. Il m’a énormément apporté et plus ou moins directement je lui dois toutes mes ouvertures ou presque, car c’est lui qui m’aura permis de progresser suffisamment pour y arriver. Merci, Bernard…

Enfin le topo, pour compléter tout cela :

Accès : Idem face Ouest du Baou Cézanne. La voie démarre dans la première fissure à droite du Fauteuil.

L1 : 6a, 35 mètres; Remonter une fissure raide, bonnes protections. Longueur sans doute vierge vue la purge et l’absence d’équipement (dans la longueur suivante il est évident que nos prédécesseurs ont voulu marquer leur passage : sangles, pitons et câblés laissés en place). Un piton laissé au relais, béton, deux becquets évidents.

L2 : 6b/+, 25 mètres; Longueur déjà ouverte, déjà nettoyée, avec du matériel laissé en place (deux sangles, un piton, un câblé). Fissure majeure et soutenue. Relais sur chêne.

L3 : 3, 50 mètres; Transition dans un couloir forestier raide. Évidemment maintes fois parcourue ! Relais sur arbre.

L4 : 6a, 35 mètres; Continuer tout droit et remonter la magnifique fissure large au dessus, à gauche d’un dièdre d’aspect plus facile. Relais sur l’arête d’Aix.

On sort ensuite facilement au sommet du Baou Cézanne.

1ière ascension : Fauteuil : Jean Paul Bouquier et Gerard Cretton en 1970

Variante Directe (ou Avé Bernard), soient L1 et L4 : Laurent Morizot, Bruno Zunino et Nicolas Gay le 13/01/2024

Seconde longueur : Ouvreur inconnu

Difficulté : TD; 6b/+; 120 mètres

Matériel : Friends du 0,3 au 3, câblés, sangles, matériel de grande voie équipée

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