1ère grande voie au milieu de Nulle part.
« Ça y est, je vais escalader cette falaise orange qui me faisait rêver depuis mon arrivée dans la région : Le Cap Canaille. Plus grande falaise de France, qu’on aperçoit à tout moment autour de Cassis, changeant de couleurs aux différents moments de la journée et sous son plus beau jour au coucher de soleil. On peut également accéder facilement à son sommet en voiture, et rester bouche bée sur la vue à 363 mètres d’altitude.
On m’y avait déjà amenée au coucher de soleil et j’avais été marquée par la beauté du cadre. On aperçoit tout de suite la couleur orangée du calcaire, puis le bleue intense de la mer Méditerranée, secouée par des remous qui paraissent minuscules depuis l’impressionnante hauteur du Cap Canaille.
Environ 50 voies, des GV, couennes, terrain d’aventures, c’est le paradis des grimpeurs.
0 marche d’approche, on arrive sur le parking du belvédère, au sommet avec le camion Vertical Pirate de Nico. Topo en main, on descend, on s’équipe. Il fait l’agréable rencontre d’un ouvreur et grand grimpeur de GV (je ne pourrai pas vous dire le nom) et c’est là que mon idée d’être entre de bonnes mains s’accentue. Je vais faire ma première Grande voie avec un DE, ouvreur et passionné de terrain d’av’ et GV, aux blagues douteuses qui ont le mérite de faire rire (de temps en temps). Ça s’annonce plutôt bien.
Mais ma confiance est très rapidement détruite par les blagues de ce dernier qui se donne à cœur joie de me faire douter sur ses compétences et sur l’aventure que je m’apprête à commencer, sans avoir la moindre idée d’où je vais, où je termine et comment je vais faire.
Sans oublier la rencontre de 2 jeunes filles qui vont me faire stresser encore plus ; il faut faire vite, il y a du monde, elles vont nous attendre, on fait avec leurs cordes, les nôtres aussi, on passe avant, il y a de l’attente en bas, je reprends le travail à 17h, des gens sont partis car ils ne se sentaient pas de faire le rappel, elles sont stressées aussi….. piouf. Nico part… Au revoir. Je suis seule au rappel. Des touristes juste en face me prennent en photo, ils rigolent un peu. Je crois qu’ils lisent l’angoisse qui apparaît sur mon visage expressif. Je les remercie intérieurement et ironiquement de garder une trace de ce moment gênant où, évidemment, je loupe ma descente en rappel. Je fais tout comme on m’a indiqué, tout comme on m’a appris. Sauf que ça ne descend absolument PAS.
Qu’est-ce qu’il se passe ? Ne paniquons pas. J’insiste un peu, avant de lever la tête et de m’apercevoir que je suis toujours vachée… (La sangle qui relie mon baudrier au point de départ)… D’accord …
On se dévache, tout va bien. Quelques petits à-coups pour descendre le rappel et là… la magie opère. Je descends du Cap Canaille, à la verticale, face à l’immense mur orange qui me faisait rêver depuis la terre ferme. On se sent dans un autre monde, isolés, seul avec son nœud de machard qui nous bloque (fdp) mais nous rassure. Des petites surprises, on descend en « fil d’araignée » c’est-à-dire que soudainement, mes pieds ne trouvent plus de réconfort et de soutien contre le mur. Les irrégularités de la falaise me poussent à être suspendue dans le vide en continuant ma manipulation de corde qui me fait descendre. Je quitte alors mon romantique tête à tête avec le cap canaille car je tourne doucement. Cela me permet de descendre face à la vue incroyable qu’on a sur Cassis et les Calanques. J’ai envie de m’arrêter … Je suis à l’ombre d’un matin chaud du mois de mai, l’eau est incroyablement bleue et accueille de nombreux voiliers de plaisance qui profitent autrement du cadre. Et moi je suis là, suspendue dans le vide, à me battre discrètement avec ma rotation qui m’amène parfois d’une mauvaise façon contre la falaise m’obligeant à la heurter pour me tirer de mes rêveries et me recentrer sur cette pierre orange qui va m’offrir de beaux moments.
J’arrive finalement au niveau de Nico…un peu trop sur Nico, il n’y a pas beaucoup de place. Mais on s’en sort sans trop se heurter. C’est la pause, la deuxième descente. Il repart, j’attends impatiemment mon tour, profitant de la vue…Et c’est reparti.
Je suis mitigée entre l’envie d’arriver en bas de continuer l’aventure et l’envie de rester là des heures, à descendre, descendre. En fait rien que le rappel du Cap Canaille est incroyable.
Mais j’arrive à la fin, j’aperçois de nouveau mon binôme, à 2-3 mètres de moi. Comment je vais faire ?! C’est toujours le vide sous moi et autour de moi. Impossible de descendre. Du coup il tire simplement la corde vers lui et le court problème est aussitôt réglé. Je retrouve la terre ferme sous mes pieds.
On attend les filles qui descendent avec nos cordes, avec un peu d’inquiétude car un peu d’attente. Finalement c’est bon, tout le monde est là, on récupère nos cordes médiocrement lovées par ces dernières en ont rigolant et on part à pied, décrochés, encore à moitié dans le vide (je me méfie à chaque fois que je tombe c’est sur les marches d’approches) jusqu’au point de départ : le connu « Ouvreur de Bouse » qui nous permettra de commencer pour s’échapper sur une autre voie peu connue car équipée récemment : « au milieu de nulle part » ! Ça sent l’aventure.
Un couple de grimpeurs est sur le départ, on attend un peu, on papote, on rigole avec les filles, on se fait engueuler par les grimpeurs car on est trop bruyant, mais on est chaud bouillant !
Le départ s’annonce. Nico m’ouvre gentiment et avec talent la voie en tête. Je l’assure, c’est déjà intéressant car il ne place pas ses cordes à tous les points et souvent séparément pour éviter le tirage (oui c’est ma première sortie GV, donc point de vue de débutant !). C’est donc assez perturbant de l’assurer car les cordes ne sont bien souvent pas au même niveau et pas utilisés aux mêmes moments… d’accord… Il arrive rapidement au premier relais pour me laisser le plaisir de démarrer dans ce premier 6a. On rigole avec les filles, je me prépare rapidement, chaussons, on me rappelle de ne pas oublier d’enlever les dégaines, c’est ok je pars. Mais je suis soudainement bloquée dans ma grimpe… J’avais oublié d’enlever la première dégaine qui me bloque… évidemment, malgré l’information que je n’avais pas prise au sérieux avant mon départ. Je galère un peu à redescendre pour la récupérer mais c’est bon, piqure qui m’évitera de renouveler l’erreur…Normalement. J’enchaîne assez facilement, c’est agréable il y a de nombreuses prises. Arrivée au niveau du mouv’ un peu bloc de 6a, je renouvelle bêtement mon erreur et ne récupère pas la dégaine pensant le faire après lorsque je serai en meilleure situation > mauvaise idée, c’était compliqué après pour l’enlever mais en soi ça passe, je grimpe, il fait beau, je rejoins Nico à un premier relais plutôt confortable.
La suite s’effectue de la même façon sans problème et assez rapidement. Les filles décident de finalement nous suivre « Au milieu de Nulle part », je m’éclate dans l’escalade car cette voie nous offre plein de styles différents, tantôt de la dalle, du dièdre, du dévers. C’est super varié, chaque longueur est une nouvelle surprise, très différente et agréable.
Tout se passait donc très bien jusqu’au moment où un gros imprévu surgit ! Je décide de retirer légèrement mes chaussons d’escalade que je garde au pied car je laisse sortir uniquement mon talon pour me soulager (non ne devinez pas ce qui va se passer…). Là très gentiment, Marion me propose de les accrocher en hauteur avec un mousqueton, pendant donc que j’assure et je décline l’offre pensant que tout irait bien ainsi. Nico arrive au relais, me prévient qu’il va ravaler la corde pour que je puisse grimper. Avec ma grâce légendaire, je me pousse soudainement de la corde qui va être tirée et mon chausson d’escalade s’échappe de mon pied, un « oh nooon … mon chausson » sort de ma bouche et nous regardons, sans pouvoir rien faire, la chute. Il roule sur la falaise et ma respiration reprend lorsqu’il s’arrête sur le bord, à moitié dans le vide, à moitié vers nous mais sur un amas de pierres tombantes… On ne peut rien faire, on doit attendre l’arrivée de Lucile qui pourra, en étant assurée, le récupérer. Après ces minutes qui paraissent des heures où on rigole nerveusement avec stress et suspense à regarder mon chausson qui se trouve entre la vie et la mort, Lucile arrive enfin. On lui raconte le problème et avec douceur, précision et pression, elle va le chercher, en prenant soin de ne pas faire glisser un caillou dessus, en le saisissant par le bout des doigts… il est sauvé !
Je le récupère me promettant de ne plus jamais le quitter en falaise, et je me prépare enfin à rejoindre mon binôme qui attend sans trop savoir pourquoi.
On continue, je suis entre Nico et les filles qui me font mourir de rire, je me laisse alors un peu portée, me sentant en confiance entourée de professionnels et sans trop me poser de questions car tout allait très vite. Nico a vraiment l’habitude et s’y connait énormément alors à chaque explication qu’il me donnait, je décrochais rapidement. La grande voie c’est vraiment technique… Ça viendra avec le temps… Aujourd’hui c’est découverte et grimpe !
J’ai donc continué les petites fautes d’inattentions, telles que se dévacher alors que le mou de Nico qui devait m’assurer d’en haut n’avait pas été ravalé… la chute de plusieurs mètres correspondant à la longueur de la corde m’attendait et le regard de ma collègue de grimpe dans le mien quand on s’en est rendu compte m’a vite réveillé. Heureusement, j’étais confortablement assise dans le coin d’un relais, le même où plus tôt, je m’étais sentie seule au monde, dans un coin de falaise inaccessible, sur les hauteurs de Francee. Un endroit où personne ne me trouverait, et où j’aurais pu contempler des heures le vide, la vue et l’impression de protection que m’offrait la falaise. Ce qui fut rapidement perturbé par l’arrivée des filles qui changeât l’ambiance en rigolade et en nouvelles galères.
Plusieurs vachées au même relais, on s’est retrouvées bloquées. Impossible d’enlever mon mousqueton au moment où il le fallait. Après un petit moment de galère et de manœuvre, c’était reparti.
On arrête les bêtises, on finit sur du 6a en dévers (vive le dévers) et j’ai ma première petite sensation de peur… Première petite difficulté pour moi qui ne suis pas à l’aise en dévers, en plus sur la dernière longueur. Les questions qui passent dans ma tête « est-ce que si je tombe il va me rattraper alors qu’il ne voit rien ? ». Pendant ce moment inconfortable, c’est la pose photo (moment bien choisi). Je suis à gauche des filles qui sont au relais, les bras crispés mais c’est le cadre parfait pour immortaliser ce moment. Un peu contractée, je garde le sourire pour la photo parfaite, et affiche la joie que j’ai ressentie tout au long de cette GV.
Je reprends du sérieux, je me concentre et je passe cette dernière longueur qui travaille les bras et qui me hisse au sommet du Cap Canaille avec joie et triomphe.
Les pieds dans le vide, au bord de la falaise, c’est le bonheur.
Une petite mamie vient nous déranger pour nous prévenir du risque « Vous êtes trop proche du bord là les jeunes c’est vraiment dangereux ». On est encore tous encordés tout va bien, on a vu pire lors de cette grande voie, mais on finit sur ça : la vue, le soleil, les 4 qui arrivent au sommet et la mamie inquiète.
La vie est belle. »
Sandy
La note du pirate : La voie « au milieu de nulle part » fut ouverte du bas sur pitons par E. et F. Neulet en 1995. Elle a vu plusieurs réequipements, et est désormais vivement recommandée.
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