La fusée est une ligne qui nous a sauté aux yeux depuis le refuge. Située sur un pilier individualisé juste à côté du superbe Pingüin, nous avons vite voulu aller voir de plus près si cela était possible. Avec un topo exhaustif sorti quelques mois auparavant et la garantie des gardiens que la ligne n’avait probablement jamais été tentée, nous nous sommes motivés pour finir nos vacances en Patagonie sur ce challenge.
Cependant, si cette ligne n’avait pas été gravie, ce ne fut pas par hasard. Les gardiens du refuge nous ont prévenus : la paroi est très, très loin… pourquoi ne pas plutôt grimper à côté du refuge? il nous a fallu trouver un moyen pour la rejoindre. Deux options, très peu claires dans le topo, sont proposées pour rejoindre les rares voies environnantes. Par le télécabine, puis d’infâmes pierriers et le passage hypothétique d’un col, ou alors par le refugio Pedritas. La seconde option nous parut logique, elle ne le fut pas.
Nous redescendons alors au sous bois bordant ce charmant abris. Il nous reste un peu de temps, alors nous effectuons un repérage. Rapidement, nous comprenons que notre seule chance pour rejoindre le pierrier au dessus duquel se dresse notre objectif est de remonter la rivière Arroyo Van Titter même, car la végétation est des plus denses.
Après avoir bien pataugé, nous posons le matériel puis rentrons. À chaque jour suffit sa peine. Le lendemain, c’est dans la douleur qu’il nous faut remettre chaussures et pantalon mouillés au lever du jour pour aller remonter la rivière glacée et parfois bouchée par les arbres. Nous regardons régulièrement notre lignes, inquiets de ne pas passer mais motivés. Nous récupérons nos affaires posées la veille puis franchissons un court bout de forêt pénible. Frigorifié, c’est avec plaisir que je remonte ensuite le pierrier pourtant pénible pendant une heure nous séparant de la paroi.
Au pied, nous nous réjouissons : malgré deux sections qui nous font douter car on n’y voit pas de faiblesse, la paroi est moins raide que prévue mais le rocher orange aussi beau que nous espérions. On choisit de démarrer par une cheminée évidente du pied à gauche, juste avant le couloir séparant le pilier du pingouin.
Je grimpe avec plaisir cette longueur en tête, qui permet de nous mettre en confiance. L’arrivée à une large terrasse est un luxe. L’approche est alors déjà oubliée et le plaisir revenu. Thomas poursuit par une très belle écaille physique et raide, juste à gauche du dièdre que nous envisagions qui en fait ne débouche sur rien. Bien parti, il continue et trouve un passage très beau permettant de franchir le premier court surplomb, compact. Il vient de vaincre l’une des inconnues.
On arrive alors dans la dalle arrondie, marquant la partie médiane du pilier. Comme prévu, des écailles fragiles permettent une escalade facile jusqu’à ce qu’elles disparaissent pour laisser place à un passage compact. Tourmenté, je place un spit, le seul de la voie, puis part droit dans la dalle. Je me bagarre loin de mon point avec deux pas fins assez loin du point, pour rejoindre à gauche un dièdre évident et j’y place mon relais. Thomas en second aura mieux lu le passage et trouvé une variante plus facile et logique deux mètres à gauche. Dommage, j’étais fier de mon « run out »!
Quatrième longueur, Thomas s’élance pour la deuxième section inconnue de la voie. Il remonte un court dièdre bien protégeable puis trouve rapidement une très belle écaille pour franchir le passage particulièrement raide. Je le rejoins, tout en regardant le splitter final.
Je repars en tête à mon tour, en regardant cette magnifique tour sommitale. Y arriverais je en une longueur? Arriverais je seulement à passer la section très verticale dominant le relais ? Une fois de plus la chance nous sourit et une écaille permet à nouveau de franchir ce mur qui penche. J’enchaine avec le splitter, plus facile que prévu mais croustillant. J’arrive au sommet! Thomas me rejoint rapidement. Nous dégustons tous les vivres que nous avons pour fêter dignement cette ouverture!
Un rappel nous pose alors à un col derrière puis nous rentrons par une variante : on longe le pierrier sommital plutôt que de redescendre à la rivière puis traversons une forêt aussi dense qu’abominable pour rattraper une prairie humide puis notre bivouac. Plus que 3 heures de marche avec des énormes sacs pour retrouver la civilisation !
Le topo :
Approche : depuis le refuge Piedrita remonter le torrent jusqu’à la base de la torrecita (à cet endroit l’éboulis rejoint presque le torrent). Franchir au
mieux la forêt puis remonter un éboulis jusqu’au pied du pilier. La voie démarre sur la gauche par une cheminée évidente à droite du couloir formé par le pingouin (seconde cheminée).
L1 : 4b, 40m; remonter la cheminée, relais à droite de la terrasse.
L2 : 6a, 45m; remonter l’écaille juste à gauche du dièdre puis traverser quelques mètres à gauche pour remonter des fissures et franchir un mur orange raide par une écaille. Relais à droite au pied de la dalle arrondie.
L3 : 5b, 25m; viser les écailles fines légèrement à droite que l’on remonte ensuite intégralement vers la gauche. Celles-ci s’arrêtent pied d’une dalle (un spit). Remonter la dalle vers la gauche pour faire relais au pied d’un dièdre incliné.
L4 : 5c, 40m; remonter ce dièdre puis monter en ascendance gauche pour gravir grâce à une écaille un mur très raide. Relais au pied de la tour sommitale.
L5 : 5c, 45m; viser une écaille légèrement à gauche puis remonter vers le splitter évident (fissure parfaite traversant la paroi, ici assez large) et finir au sommet.
Descente en un rappel de 25 mètres versant ouest. On rejoint par un couloir facile mais parfois exposé le pied de la voie.
1iere ascension : Thomas Ferrandi, Nicolas Gay le 25 février 2018
Difficulté : TDinf, 6a, III, 180 mètres environ
Matériel : friends du 0 au 4 en doubles, câblés, sangles, matériel grande voie sportive
Un grand merci à Rolando Garibotti pour sa sympathie après « livaison » du topo !
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